Ecoconomie

Essai pour tenter d'expliquer la "crise" dont tout le monde parle...



Il était une fois un archipel d’îles isolées au milieu de l’océan Pacifique. Chaque île était habitée par une tribu et les gens coulaient des jours heureux en cultivant des noix de coco, qui servaient à la fois de nourriture principale et de matière première pour les vêtements, la construction, les outils...

Ces îles étaient pour la plupart en relations les unes avec les autres, même s’il était difficile pour les habitants d’aller d’une île à une autre trop lointaine (essayez donc de construire un bateau avec un tronc de cocotier !). Néanmoins, au fil du temps, les relations se sont renforcées entre les îles les plus proches et les habitants ont prix l’habitude de faire du troc de noix de coco, chaque île abritant une variété de noix de coco différente, au goût, à la forme et aux propriétés particulières.

Un jour, pour faciliter ces échanges, tous les individus qui s’étaient spécialisés dans le transport ou la vente de noix de coco se mirent d’accord pour utiliser des cailloux spéciaux, faits dans une pierre rare, difficiles à fabriquer mais moins lourds à transporter, pour échanger avec les noix de coco des îles qu’ils visitaient. C’est ainsi qu’est née la monnaie. Chaque île finit par avoir ses propres cailloux dont la valeur variait en fonction de différents paramètres. On en arriva même à échanger des cailloux contre d’autres cailloux, car on se dit que la valeur de certains cailloux allait peut-être augmenter.



Bien sûr, il y eût des conflits, des alliances, des attaques, des invasions, mais les tribus finirent tant bien que mal par s’entendre et les conflits se raréfièrent. En parallèle, les hommes sages de chaque tribu inventaient de plus en plus d'outils qui rendaient le quotidien plus simple : des bateaux plus rapides, des moyens rapides et faciles pour communiquer même avec des gens très loin, mais surtout pour cultiver plus facilement les noix de coco…

Chaque île se développait à un rythme différent : les mieux situées, au centre de l’archipel, bénéficiaient de l’accroissement des échanges et des évolutions technologiques des autres îles… Leur niveau de vie augmentait fortement, alors que les plus isolées évoluaient plus lentement.

Sur les îles les plus riches, les habitants demandaient des salaires de plus en plus élevés pour leur travail, ce qui était bien normal. Mais résultat, les noix de coco coutèrent de plus en plus cher à récolter et à préparer avant la vente. Leur prix augmenta fortement sur ces îles. Or les échanges devenant de moins en moins coûteux, ceux qui revendaient les noix de coco aux habitants eurent l’idée d’en acheter sur les îles les plus lointaines où elles coûtaient encore très peu cher. Leur goût était différent, mais la différence de prix était telle que beaucoup d’habitants en achetèrent.

Le problème est que les noix de coco produites localement sur ces îles riches apparurent du même coup de plus en plus chères et très peu de gens continuèrent à en acheter. La plupart des sociétés de récolte et de traitement de noix de coco firent donc faillite car elles n’avaient plus de clients. Les seules qui arrivèrent à survivre étaient celles qui faisaient de la noix de coco de luxe, très chère, qui permettait aux gens riches de montrer leur richesse, ou les sociétés qui employaient à bas prix –parfois illégalement- des habitants d’autres îles moins riches.



La production de noix de coco étant très importante dans l’économie des îles, la disparition des entreprises locales de production (et des nombreuses entreprises qui géraient leur traitement, leur stockage, etc.) laissa beaucoup de gens sans travail sur les îles riches. Mais comme les habitants payaient leurs noix de coco moins cher, ils avaient l’impression que finalement ils s’y retrouvaient. Sauf ceux qui avaient perdu leur travail qui ne pouvaient plus s’acheter de noix de coco du tout.

Par contre, les revendeurs de noix de coco, qui les achetaient ailleurs pour les revendre, étaient devenus très riches et pouvaient s’acheter plein de noix de coco de luxe. Mais à moment donné, chacun s’inquiéta de voir que de moins en moins d’habitants de son île pouvaient s’acheter des noix de coco, même peu chères.

Les dirigeants des îles riches commencèrent à s’inquiéter mais restèrent optimistes. Cette crise était forcément passagère. Le niveau de vie était en hausse depuis des années, des décennies… Il n’y avait aucune raison que ça change !

Les producteurs de noix de coco se disaient la même chose : même si sur leur île les gens avaient de moins en moins les moyens d’acheter leurs noix de coco, ceux des autres îles leur achèteraient. Le problème est que sur chaque île, on tenait le même raisonnement. Chaque île comptait sur les îles voisines pour acheter ses noix de coco.

En réalité, sur les îles riches, on ne produisait presque plus de noix de coco et beaucoup d’habitants avaient donc perdu leur salaire, et sur les îles pauvres les habitants étaient si mal payés qu’ils ne pouvaient pas s’en acheter non plus.

De moins en moins de gens ayant les moyens d’en acheter, la demande de noix de coco était en chute libre partout.



Îles pauvres et îles riches se retrouvèrent rapidement en crise. Sur les îles riches, on ne produisait plus que des noix de coco de luxe qui étaient achetées très cher par les plus riches, mais ce marché était très instable car reposant sur peu de clients (dont le nombre n’augmentait plus guère) et sujet aux aléas de la mode. D’autant que les îles les moins riches avaient commencé elles aussi à produire des noix de coco de luxe.

Sur les îles pauvres, comme on vendait moins de noix de coco aux îles riches, beaucoup d’habitants perdirent leur travail et les autres virent leurs salaires baisser fortement car les noix de coco vendues l’étaient beaucoup moins cher, du fait de la concurrence toujours plus rude.

Les îles avaient créé un organisme commun pour surveiller le commerce des noix de coco, l’OMC (l’Observatoire des Mouvements de la Coco). Or il était géré par les plus gros producteurs de noix de coco, qui essayaient logiquement de favoriser leurs propres entreprises et n’arrivaient plus à se mettre d’accord sur quoi que ce soit, car cela aurait nuit à leurs affaires.

L’économie de la noix de coco étant primordiale pour toutes les îles, leurs systèmes économiques commencèrent à ne plus fonctionner. L’avenir étant incertain, les banques ne prêtaient plus qu’à des taux très élevés, donc plus personne ne pouvait emprunter et créer des entreprises.



Les dirigeants de toutes les îles furent pris de panique… Chaque gouvernement rejeta la faute sur les autres îles, sur les gros producteurs de noix de coco (des autres pays évidemment), sur les travailleurs venus d’autres îles qui étaient venus prendre le travail des habitants « de souche » (alors qu’ils étaient eux-mêmes venus les chercher)… On cherchait des boucs émissaires, mais on ne cherchait pas vraiment de solutions car on ne voulait finalement pas trop changer les choses. Au fond, même si c’était moins bien qu’avant, ça risquait d’être encore pire si on changeait.

Les habitants qui avaient le plus d’argent étaient les plus hostiles au changement. Ce qui tombait bien car ce sont eux qui avaient le pouvoir. Ils se disaient que c’était la fatalité et que même si c’était dur pour les autres habitants, après tout, telle était la vie : s’il y avait des pauvres et des moins pauvres, il y avait forcément une bonne raison pour cela : leur mérite, leur intelligence, la supériorité de leurs gènes, la noblesse de leurs origines, Dieu… Personne ne savait vraiment, mais les plus riches pensaient que tel était l’ordre des choses et qu’il serait dangereux voire immoral de vouloir le changer.

Les moins riches hésitaient entre révolte et résignation. Les médias –tenus par les plus riches- diffusaient largement un message de patience et de sacrifice : c’était la crise, c’était la faute à pas de chance, à un ennemi obscur et insaisissable : la finance, la mondialisation, les autres îles, les erreurs des gouvernements précédents… Et surtout, il y avait des îles où c'était bien pire ! Il fallait accepter la situation et travailler dur en attendant des jours meilleurs. Les dirigeants disaient bien sûr faire le maximum mais au final, comme ils ne voulaient pas vraiment que la situation change, ils ne faisaient rien qui puisse réellement faire changer les choses.



Dans les îles pauvres, les choses étaient encore pires : la révolte grondait, mais les gouvernements contrôlaient l’information et surveillaient la population avec fermeté.

Mais le cercle vicieux était en marche et bientôt, il y eût si peu de travail dans toutes les îles que les habitants durent s’organiser pour survivre. Des marchés parallèles s’installèrent… et des cultures sauvages de noix de coco, permettant à certains habitants d’en acheter pour moins cher et à d’autres de gagner un peu d’argent. Ils étaient férocement combattus par le gouvernement, à la demande des gros producteurs qui voyaient là une concurrence déloyale et intolérable. Mais les habitants soutenaient de plus en plus ce système parallèle qui leur redonnait de l’espoir et se substituait peu à peu à un système officiel déficient.

Les gouvernements des îles riches commencèrent eux aussi à réprimer le système parallèle par la violence, tout en rejetant la responsabilité des violences sur les leaders de l’opposition. Les îles étaient ainsi de plus en plus clivées entre d’un côté les habitants favorables à leur gouvernement, soit parce qu’ils n’avaient pas intérêt à ce que les choses changent, soit parce qu’ils étaient sensibles au discours de peur qui était ressassé sur les médias officiels, et de l’autre côté les habitants qui voulaient des changements, persuadés qu’il était possible de parvenir à une vie meilleure pour eux et pour les autres. Au début, ces derniers étaient peu nombreux et étaient juste les ouvriers qui avaient perdu leur emploi dans l’industrie de la noix de coco. Mais parmi la nouvelle génération, l’envie de révolte gagnait de plus en plus de personnes, y compris parmi les plus riches, qui n’acceptaient plus les inégalités et pensaient qu'un monde où une minorité a tous les privilèges n’est ni sûr, ni stable à long terme.

Une île parmi toutes catalysait cette fracture sociale. Cette île avait une tradition de révolte contre le pouvoir en place et d’agitation politique, mais surtout un idéal d’égalité qui rendait la situation encore plus insupportable à ses habitants. Le gouvernement aurait depuis longtemps été renversé si l’opposition avait été unie. Or sa plus grosse difficulté était le nombre énorme de tendances, courants, partis politiques de toutes sensibilités, qui prônaient des choses aussi diverses que la fin de la propriété privée, la fin de l’argent ou encore la colonisation d’îles inhabitées dans des océans lointains et inconnus. L’absence de cohérence entre les projets et les idéologies rendait la coordination impossible et les partis d’opposition mettaient toute leur énergie à se combattre les uns les autres au lieu de s’unir contre le gouvernement, qui encourageait cette cacophonie.



Or un autre phénomène avait commencé depuis peu : un réseau nommé Coconet permettait à chaque habitant de communiquer facilement et rapidement avec d’autres personnes situées n’importe où sur leur île ou sur les autres. L’information étant une clé fondamentale du pouvoir, certains gouvernements essayaient tant bien que mal de contrôler cet outil, mais Coconet avait été développé par des sociétés privées qui avaient un fort intérêt financier à développer son usage et contournaient rapidement les blocages mis en place par ces gouvernements, eux-mêmes beaucoup trop lents dans leur action pour être réellement efficaces.

Certains disaient déjà que Coconet serait l’outil d’un bouleversement majeur de la société… Mais comme ceux qui le disaient faisaient partie de ceux qui voulaient que ça change, les médias n’en firent guère l’écho.



[A SUIVRE : DEUXIEME PARTIE, "PHILIBERT", dans le courant de l'été]